Une société en quête de sens
Janvier 2009. Une crise sociale de grande ampleur secoue la Guyane, la Martinique, la Réunion,… et surtout la Guadeloupe, bloquée pendant 44 jours pour obtenir des conditions de vie meilleures. Déclenchée par une énième hausse du prix de l’essence, cette crise a été bien plus qu’une simple revendication d’un meilleur pouvoir d’achat. Elle a signifié la fin d’un modèle économique et social basé sur la seule consommation, et la recherche d’un nouveau sens au développement des territoires d’Outre-Mer, plus social, plus écologique, plus humain. Même si depuis la « vie comme avant » a plus ou moins repris son cours, la crise de 2009 a été une première expression de cette transformation profonde des sociétés ultramarines, qu’il convient d’entendre, d’accompagner, de soutenir, sans attendre que le système précédent arrive à bout de souffle.
I – Bien que devenue modèle dominant, la société de grande consommation est vouée à l’échec en Outre-Mer, notamment pour des raisons économiques.
Bien que très attachées à leur territoire et leurs traditions, les populations d’Outre-Mer se sont également construites en fonction de leur lien avec la Métropole. Avec l’engouement économique et social des 30 glorieuses et la démocratisation du transport aérien, les échanges de personnes et de biens se sont multipliés entre la Métropole et l’Outre-Mer, contribuant à ce que le mode de vie en Outre-Mer se calque sur le mode de vie métropolitain et, plus largement, occidental.
Dans le domaine du commerce, comme partout ailleurs, le modèle de consommation et distribution dominant est la grande surface : les GDS représentent 66% des ventes de produits alimentaires en Métropole, et davantage en Outre-Mer. La progression du pouvoir d’achat, l’amélioration des réseaux de transport, l’évolution des modes de vie, depuis plusieurs décennies, ont contribué au développement de ces modes de distribution.
Dans le domaine du transport, on a observé une très forte progression du transport individuel, tant et si bien que les habitants de Guadeloupe, Martinique ou la Réunion effectuent 15 000 kms par an, soit autant qu’en France métropolitaine. 2/3 des ménages possèdent un véhicule, 60% des actifs ne travaillent pas dans leur commune de résidence, alors que les communes en Outre-Mer sont étendues,… Cette prédominance du transport modal automobile (plus de 80%) se ressent évidement sur la qualité de vie au quotidien, tant sur la qualité de l’air que sur le temps perdu dans les embouteillages !
Comme corollaire de ces changements de mode de vie, on observe le développement d’une plus grande individualité, une perte de lien social et le renforcement du sentiment de précarité, tant économique que sociale : chômage près de trois fois plus élevé, familles monoparentales deux fois plus nombreuses, revenus plus faibles,… (Cf rapport FNORS).
La grève de 2009 a eu cela de bon qu’elle a permis aux citoyens de réfléchir à la société qu’ils souhaitaient, et plus prosaïquement, avec des possibilités de déplacement et d’approvisionnement limitées, de retrouver un mode de vie plus en adéquation avec les objectifs ci-dessus. Patrick Chamoiseau, Edouard Glissant et leurs coauteurs, dans leur « Manifeste pour les produits de haute nécessité » soulignent avec clairvoyance le sens profond de cette crise, et les portes qu’elle a ouvertes. Malheureusement, dès la grève achevée, les (mauvaises) habitudes ont pour beaucoup repris le dessus…
Mais ce modèle consumériste, individualiste est fragile, ne serait-ce que sur le plan économique.
Il implique que la quasi-totalité des biens de consommation soient importés, car ils ne peuvent pas être produits de manière compétitive au niveau local. Même les aides à l’investissement des entreprises, via la défiscalisation industrielle, n’ont pas permis de rendre possible un tissu de PME industrielles locales suffisant.
Ce modèle est très fragile car il entraîne une très grande dépendance vis-à-vis de l’extérieur, tant pour les importations de biens de consommation et d’énergie que pour les exportations de tourisme ou de produits agricoles. Par conséquent, les économies ultra-marines affichent une forte sensibilité aux chocs externes, comme la hausse de l’essence, des modifications des comportements touristiques ou la diminution des aides européennes sur les filières agricoles traditionnelles.
II –Les alternatives à ce modèle de développement sont là, et nécessitent un accompagnement politique fort.
Pour autant, des alternatives à ce modèle de développement existent et se mettent en place petit à petit, comme dans les autres territoires. Ces nouveaux modes de consommation, de production, sont à même de diminuer la dépendance extérieure de ces territoires, de renforcer leur résilience, et de donner du sens à leur développement.
De nouveaux modes de transport se mettent en place, que ce soit par l’amélioration du réseau de transports en commun, ou les débuts du covoiturage. Ces initiatives doivent être encore renforcées, par une offre de transports en commun mieux cadencée et très abordable.
La consommation d’électricité commence à être maîtrisée ces dernières années, et les énergies renouvelables prennent une place croissante dans les productions électriques locales. Nous sommes pour autant encore loin des objectifs fixés par le Grenelle de l’Environnement et de nombreux progrès restent à faire pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre des Outre-Mer.
L’agriculture biologique, les circuits de distribution courts, ainsi que de petites entreprises de transformation agroalimentaire se multiplient. Comme autant de signes d’une agriculture davantage centrée sur la consommation locale, à plus forte valeur ajoutée, et surtout porteuse de sens et respectueuse de l’environnement.
Enfin, on observe aussi un certain renouveau du commerce de proximité, au détriment de la grande surface, renouveau qui pourrait être accéléré s’il était lié à une mise en valeur des centres-villes.
Toutes ces lignes directrices sont connues, débattues,… Déjà, pour les législatives de 2007, elles étaient au cœur du programme que je présentais, un programme dont l’écologie était la colonne vertébrale, et qui est encore plus d’actualité aujourd’hui.
Ces objectifs généraux, appliqués sur chaque territoire d’Outre-Mer, dans chaque commune, quartier ou entreprise, seront à même de créer davantage de lien social. Mis en œuvre ensemble, ils permettraient de dessiner un avenir commun dans lequel chacun pourra se retrouver, contribuant ainsi à recréer un pan nouveau de l’identité de chaque société ultramarine, un sens.
Aujourd’hui, la mise en œuvre de ce projet porteur de sens nécessite surtout de fédérer toutes les initiatives. Elle appelle un effort d’accompagnement, de structuration, et un signal politique fort :
– en faveur du transport en commun et des modes de transports doux (vélo par exemple)
– sur la consommation d’énergies fossiles, tant dans le transport que dans l’électricité.
– en faveur de l’agriculture sur des exploitations à taille humaine, et si possible biologique
– sur la gestion des déchets, insuffisamment revalorisés.
– pour réorienter le tourisme vers un tourisme durable et à plus haute valeur ajoutée
– sur la mise en avant de ces politiques au niveau national
Dès aujourd’hui, cela suppose la non réalisation des projets d’incinérateurs, à la Réunion et en Guadeloupe, et le développement de filières de valorisation des déchets, l’arrêt de la construction de la Nouvelle route du littoral à la Réunion, un moratoire sur l’extension et l’élargissement du réseau routier dans tous les territoires,…
Ces efforts, c’est à la société civile de les réaliser. Mais il revient au pouvoir politique de les porter, de les insuffler, de montrer clairement que l’environnement est un atout pour les Outre-Mer, leur permettant de renforcer leur identité sur un sujet d’une incroyable modernité.
La venue de François Hollande en Martinique et en Guadeloupe, pour souligner l’engagement des Outre-Mers dans la lutte contre le changement climatique et pour inaugurer le Mémorial Acte, pourrait être l’occasion de rappeler que l’écologie peut apporter une nouvelle dimension, de modernité et de responsabilité, à une société en quête de sens.
Pour Objectif Transition,
Benoît Chauvin