Refuser l’éventration de la Terre est l’affaire de tous les humains

Crédit photo : Max Phillips (Jeremy Buckingham MLC)

 

Tribune proposée par Ugo Pandolfi

 

Les chefs coutumiers des peuples autochtones de Guyane ne sont pas seuls au monde à s’opposer au projet russo-canadien « Montagne d’or ». Si la méga-mine industrielle a les faveurs d’Emmanuel Macron, les résistances s’amplifient et prennent une dimension anthropologique. Comme si désormais le débat public sur l’éventration de notre planète exigeait de s’étendre à tous ses habitant(e)s. Comme si la France qui vient de sauvegarder 962 hectares de zones humides et de bocages dans l’hexagone, se devait  désormais d’être exemplaire partout.

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Comme l’argent, le platine, le palladium, l’or est  l’objet de cotations journalières sur plusieurs places financières. Le précieux métal est coté en dollars américains  par onces « Troy », en référence à une unité de mesure utilisée jadis à la foire de Troyes, en France : 1 oz (troy) est égal à 31,10348 grammes.

Au matin du 26 octobre 2017, premier jour du déplacement en Guyane française d’Emmanuel Macron, Président de la République, le cours de l’or par once en Euros était de 1,081.82 €, soit un prix au kilo de 34,789.11 €. Sur les dix dernières années, les fluctuations du cours du kilo d’or, de l’ordre de plus de 98,3%, enregistrent une hausse de 17,327.52 €. Sur les dix sept dernières années, le gain au kilo est de 25,733.43 €.

 

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C’est à l’aune de ces cotations et à cette mesure seule que les oligarques de Nordgold, actionnaire majoritaire de la Cie Minière Montagne d’Or, et les actionnaires de la canadienne Colombus Gold ont prêté, sans inquiétude, une oreille attentive aux paroles réconfortantes du Président Macron faisant ses premiers pas à Maripasoula, la plus grande commune de France à laquelle ne mène aucune route autre que le fleuve, dans un département grand comme le Portugal d’où l’on lance avec succès des satellites tout en restant sourd depuis bientôt quatre décennies aux revendications des peuples autochtones et où le chômage touche plus de 20% des 250 000 habitants, atteint 40% des moins de 25 ans.

Crédit photo : Wikimedia

 

Label oxymore pour 83 millions de tonnes de minerai

 

Certains qu’ils doivent se rendre maître et possesseur de la nature, les partisans de l’éventration industrielle de la terre sont bien décidés à faire 66 000 tonnes par jour de déchets stériles si une tonne de minerai fournit 1, 45 grammes de métal précieux.

Ils n’ont aucune inquiétude à avoir pour leur humaniste projet aurifère si prometteur d’emplois : le chef de l’Etat français que le très médiatique Ministre d’État Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, n’accompagnait pas en terre amazonienne, est un fervent défenseur du « renouveau minier » cocorisé en 2013 par Arnaud Montebourg. Devenu Ministre de l’Economie et de l’Industrie,  Emmanuel Macron inventa à son tour, avec l’aide de Ségolène Royal à l’écologie, l’une de ces alliances de mots dont la couleur oxymore est destinée à faire avaler toutes les pilules : la « mine responsable ». En pleine réforme du code minier, face à « la pression des industriels, des fonds d’investissements et des politiques européennes sur les matières premières », la concrétisation du concept, parent pauvre des « destructions créatrices »,  a encore du mal à convaincre la société civile.

Schumpeterien avant de devenir Jupiter, Emmanuel Macron s’empressa très tôt de décerner le label oxymore aux acteurs russo-canadiens de la méga-industrie minière à la manoeuvre en Guyane française :

« nous sommes ici face à un projet qui se veut exemplaire et que je veux exemplaire » déclarait en août 2015, au pied de la Montagne d’or, le ministre de l’économie.  » Nous allons tout faire pour qu’un projet de cette envergure puisse voir le jour ici. »

Colombus Gold, assure alors Macron, « est l’un des fers de lance de la mine responsable ».

Normales louanges : Jacques Attali, le mentor d’Emmanuel Macron, a siégé au comité consultatif de la Colombus Gold, partenaire, dans l’éventration de la ceinture de roches vertes du bouclier guyanais, de Nordgold du magnat russe Alexeï Mordachov. Depuis mars 2017, Nordgold contrôle 55,01% du projet Montagne d’or.

Sans surprise, avant de quitter la Guyane le 27 octobre dernier, Emmanuel Macron a renouvelé son soutien au gigantesque projet minier.

 

« At Nordgold, we have always thought big »

 

Composé de huit concessions minières couvrant une superficie de 190 km2 , le projet aurifère Paul Isnard (désigné désormais par l’appellation Montagne d’or)  prévoit d’extraire « 6,7 tonnes » d’or par an pendant douze ans », soit une valeur estimée à plus de 3 milliards d’euros. »Chez Nordgold, nous avons toujours pensé grand » souligne le site du groupe  implanté dans cinq autres pays : Burkina Faso, Guinée, Russie, Kazakhstan et Canada.

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Crédit photo :Jack Pearce

Cyanure, explosifs, pollution, métaux lourds, précarité, déchets miniers, risques sanitaires, coûts gigantesques sur fonds publics : le collectif citoyen Or de question qui regroupe plus d’une centaine d’ONG locales et nationales, ne cesse de mettre en évidence toutes les raisons de s’opposer au projet « Montagne d’or » et à la méga-industrie minière en Guyane.

 

La destinée des humains et des non-humains

 

Depuis les premières alertes dont celle solennellement lancée en 2016 par le journaliste Fabrice Nicolino, les résistances s’amplifient face à ce chantier destructeur dont la mise en oeuvre doit faire l’objet en 2018 d‘un débat public organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP).

Une pétition demandant au gouvernement français l’arrêt immédiat des projets de méga-industrie minière a recueilli à ce jour plus de 195 000 signatures.

Un rapport accablant du Fond Mondial pour la Nature (WWF) démontre que le projet Montagne d’Or est un mirage en termes de développement pour la Guyane et un gouffre pour l’argent des contribuables.  » Le projet engloutirait au moins 420 millions d’euros publics soit un coût aberrant de 560 000 euros publics pour chaque emploi direct annoncé. C’est à la fois un non-sens écologique et un non-sens économique. C’est un mirage économique qui consommera des quantités astronomiques d’argent public, argent qui ne serait plus là pour financer de vrais projets créateurs d’emplois de long terme pour les Guyanaises et les Guyanais » dénonce  WWF France.

Dans son avis sur le droit à un environnement sain dans les Outre-mer, adopté le 17 octobre 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme  recommande la mise en place d’un moratoire sur ce projet de méga-mine « ainsi que le lancement d’une étude d’impact indépendante à même de mettre au jour l’ensemble des risques identifiés sur les plans environnementaux et sociaux, et en matière de respect des droits humains ».

A l’évidence, les chefs coutumiers des peuples autochtones de Guyane qui sont hostiles à l’éventration de la Terre ne sont pas seuls à engager les résistances qui s’imposent aujourd’hui.

Résistance anthropologique, au sens que donne à ce terme Philippe Descola, quand il s’agit de défendre des globalités, des collectifs, en concevant désormais « la destinée des humains et celle des non-humains comme intrinsèquement mêlées ».

Un devoir s’impose à chacun d’entre nous. En octobre 2017, la première session du Collège de France mettait les natures en question et interrogeait sur comment faire entrer la nature en politique.

Eventrer, quelque part, dans un lieu que l’Europe préfère désigner comme ultrapériphérique, c’est toucher au cœur. Le débat public devrait s’étendre à tous les habitants de la planète.

« On ne peut laisser faire – crie Fabrice Nicolino.  À aucun prix. Nous sommes en face d’une modeste mais réelle responsabilité historique ».

 

La question est bien de savoir ce que nous avons à faire, ici, maintenant, pour « préserver une nature dans laquelle il y aura encore du Sapiens ».