Epandages aériens en Guadeloupe et Martinique: vous avez le pouvoir de dire NON


Le ministère de l’agriculture envisage de reprendre l’arrêté du 31 mai 2011 encadrant les dérogations à l’interdiction de l’épandage aérien de produits phytosanitaires, et lance une consultation publique sur le projet de nouvel arrêté. Objectif Transition, opposé à ces épandages et vigilant sur les dérogations accordées, notamment aux Antilles, participe et vous invite à participer à cette consultation.

Pour reprendre le fil juridique de la question, l’épandage aérien de produits phytosanitaires a été interdit par une directive européenne du 21 octobre 2009, transcrite en droit français dans l’article L253-8 du code rural et de la pêche maritime. La loi interdit strictement l’épandage, sauf pour une durée limitée, s’il y a un avantage manifeste pour la santé ou l’environnement ou s’il y a danger pour les plantes qui ne peut être maîtrisé autrement. L’arrêté du 31 mai 2011, relatif aux autorisations d’épandages, a fixé des règles relativement claires et strictes sur les conditions dans lesquelles elles pouvaient être accordées :

1 – si la hauteur des végétaux, la topographie (relief accidenté, forte pente), les enjeux pédologiques des zones à traiter, la réactivité ou la rapidité d’intervention sur des surfaces importantes ne permettent pas l’utilisation de matériels de pulvérisation terrestres.

2 – si l’épandage aérien présente des avantages manifestes pour la santé ou pour l’environnement dûment justifiés par rapport à l’utilisation de matériel de pulvérisation terrestres.

Le cadre a l’air clair. Pourquoi modifier un arrêté qui à fait ses preuves jusqu’ici ?

Regardons-y de plus près : la banane est la principale culture concernée par le nouvel arrêté.
C’est sur la base de cet arrêté que les préfectures de Guadeloupe et Martinique ont accordé des dérogations, qui ont été rejetées une première fois, puis suspendues (voir décision du 5 juillet 2013) par le juge administratif. Par ailleurs, si on en croît les chiffres de la campagne d’épandage 2012, la banane représente près de la moitié des surfaces concernées par l’épandage aérien, devant la vigne et le riz, et plus marginalement le maïs et la forêt. Qui plus est, 80% des surfaces utiles cultivées en banane sont traitées par épandage aérien, ce qui montre l’importance de ces dérogations sur les méthodes de culture de l’ensemble de la filière.

Quels sont les changements apportés pour le traitement des bananeraies ?

Tout d’abord, la durée de dérogation autorisée est validée à 12 mois, au lieu de 12 mois maximum aujourd’hui. Ce qui retire de facto une latitude d’interprétation du texte, au profit des planteurs de banane.
Ensuite, les motivations justifiant une dérogation, bien que d’apparence très proches, ne sont pas strictement identiques. Une dérogation peut être accordée :
1 – lorsqu’un organisme nuisible menaçant les végétaux ne peut être maîtrisé par d’autres moyens de lutte
2 – ou si cette technique présente des avantages manifestes, dûment justifiés, pour la santé, l’environnement ou la sécurité et la protection des opérateurs du fait de l’impossibilité du passage de matériels terrestres en raison de la hauteur des végétaux, ou d’une pente et d’un dévers trop important ou d’une portance des sols trop faibles.

Au premier abord, les mots utilisés sont exactement les mêmes, et pas nécessairement plus explicites. On introduit notamment la notion de sécurité et de protection des opérateurs, pour compléter la formulation antérieure dans laquelle elles n’apparaissaient pas. Cette précision vise probablement à pouvoir baser sur cet argument un nouvel arrêté préfectoral d’autorisation d’épandage aérien contre la cercosporiose, mais aussi chercher à relativiser l’importance de la protection de la santé de la population dans son ensemble.

Alors à quoi bon modifier l’arrêté ?

Au fond, toute la démarche vise à permettre de passer outre le jugement du tribunal administratif et sa suspension des autorisations d’épandage aérien, valable tant et aussi longtemps que la requête des associations de protection de l’environnement n’aura pas été jugé sur le fond.
Et c’est là où la consultation du public joue un rôle vicieux : elle sert à cautionner une démarche d’ouverture, de consultation, qui permettra à l’Etat de donner du crédit à son nouvel arrêté par rapport à l’ancien, en lui apportant une « onction populaire ». Qui plus est, en l’ouvrant pour une période courte de 3 semaines, en plein milieu du mois d’août, on avantage la participation de ceux pour qui cette décision est attendue, c’est-à-dire les producteurs de banane, et on limite la participation de la population, occupée à d’autres priorités.

Par la suite, malheureusement pour le ministère et pour les planteurs de bananes, dès qu’un arrêté sera pris, il risque fort d’être attaqué de nouveau par les défenseurs de l’environnement. Et le juge a de grandes chances de confirmer ce qui a déjà prévalu dans ses précédentes décisions : il n’y a pas de caractère d’urgence ; il existe une alternative viable, l’effeuillage-brûlage, même si elle est plus coûteuse économiquement ; la charte de l’environnement qui prévoit le droit de chacun de vivre dans un environnement qui préserve sa santé ,et invite à rechercher s’il existe un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement, ou susceptible de nuire à la santé.

Aujourd’hui, il existe plusieurs manières d’agir pour éviter les épandages aériens :

– la première est de participer à la consultation, même s’il reste peu de jours, pour éviter que le nouvel arrêté entre en vigueur. Objectif Transition vous invite à adresser vos remarques au ministère de l’agriculture, ou une adresse email spéciale a été mise en place : bbbqv.sdqpv.dgal@agriculture.gouv.fr
Vous pouvez aussi leur adresser le même message que celui que nous leur avons adressé (voir ci-dessous).

– saisir le tribunal administratif dès la parution de l’arrêté. Les associations de protection de l’environnement ne manqueront probablement pas de s’y atteler.

– se mobiliser pour l’arrêt total de l’épandage aérien, qui porte atteinte à l’environnement et à la santé de la population, au profit de méthodes mécaniques ou manuelles. Il va bien falloir un jour se poser la question de savoir si nous souhaitons continuer à mettre la priorité sur une culture d’exportation polluante, ou si nous optons pour une culture plus respectueuse de l’environnement, quitte à réduire les quantités produites.

Benoit Chauvin pour Objectif Transition
Texte de participation.

Monsieur,

L’épandage aérien de produits phytosanitaires sur les bananeraies est nuisible pour l’environnement et source de risques pour la santé de la population. Après le drame de la chlordécone, il est irresponsable que l’Etat prenne des risques supplémentaires pour la santé des habitants de Guadeloupe et de Martinique. La santé et l’environnement n’ont pas de prix.

Des techniques alternatives existent pour maîtriser les cercosporioses. Je compte sur vous pour les mettre en place, quitte à ce que les pouvoirs publics prennent en charge une partie du surcoût financier éventuellement dû au choix de ces techniques de lutte alternatives.

Avec Objectif Transition, j’estime que ce nouvel arrêté revient à jeter de l’huile sur le feu, sans se poser de question sur le fond du problème, sur la mise en place de solutions alternatives, et sur la place à terme de la monoculture de la banane dans l’économie et l’espace antillais.

Je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations les plus respectueuses.

Voir la présentation du dossier complet et le nouveau projet d’arrêté sur le site du ministère de l’agriculture