Ebola, fatalité, négligence, limite d’un système ? (part 1)

crédit photo: Luigi Baldelli

Alors que MSF dénonce une « coalition mondiale de l’inaction »  aucune analyse ni critique n’a encore été effectuée quant à la gestion par l’OMS de la crise humanitaire qui se déroule à six heures de vol de chez nous. Et pourtant, elle se donne le rôle de chef de file dans la lutte contre les flambées épidémiques et la sécurité sanitaire mondiale.

Tous -journalistes, experts, médias- déplorent le nombre de morts et cette fatalité qu’est Ebola.

Chacun avance des explications à notre incapacité d’endiguer ce fléau. Pour certains, les causes sont anthropologiques (rites funéraires, mobilité des populations), sociologiques (ignorance et peur), médicales (absence de traitements, virulence exceptionnelle), économiques (financièrement inintéressant de rechercher un traitement car Ebola est une maladie rare et concerne des pays pauvres), techniques (Ebola doit être étudié dans des laboratoires de niveau sécurisé P4 très peu nombreux dans le monde), ou structurelles (système de santé exsangue). Mais personne n’ose avancer la possibilité d’avoir atteint les limites d’un système, la négligence face à la mort de quelques milliers d’indigents.


Résident temporaire à Bureh Town, un village de pêcheur Sierra Leone, situé à 40 kilomètres de la capitale, Freetown, je connais les conditions de vies, les conditions sanitaires, les joies, les pleurs de ce pays.

crédit photo: Digitalain

Alors, quand j’ai été contraint d’annuler ma venue face à une situation en constante dégradation et aux recommandations répétées du ministère des affaires étrangères français (mais aussi canadien, belge, américain) de reporter tout voyage ne revêtant pas un caractère impératif, certaines questions ont émergé et notamment celle-ci, alors que je suivais quotidiennement l’évolution de la situation :

Pourquoi cette lenteur d’action envers un terroriste biologique alors qu’on est capable de mobiliser une armée dans un délai très bref contre un terroriste politique ou religieux?

La flambée épidémique à MVE (maladie à virus ebola) a dépassé largement le stade de la crise sanitaire et s’ajoute à la crise alimentaire, présente et future, à la crise économique, à la crise humaine et à une violence inexplicable Massacre à Womé : Des crimes gratuits et impardonnables , avec également la notion nouvelle de réfugiés sanitaires.

Malgré les aides financières annoncées et la multitude d’experts envoyés sur le terrain, l’OMS semble incapable d’endiguer cette flambée. Pourquoi ?

L’OMS est-elle responsable de négligence dans sa gestion de la crise sanitaire en Afrique de l’Ouest ? Images bien ancrées dans l’inconscient occidental, l’Afrique est-elle condamnée à la fatalité de la pauvreté, de la misère, des guerres, des crises humaines et sanitaires ? Les événements actuels nous confortent dans cette vision. Mais qu’en est-il de la réalité sur le terrain face à la communication de l’OMS ?

Alors Ebola Fatalité, Négligence, Limite d’un système ?

L’OMS en crise, crise de l’OMS ?

Mon objectif n’est pas de jeter l’opprobre sur les institutions internationales mais de comprendre la mort de milliers d’innocents qui ne souhaitaient qu’une chose, re-vivre alors que le souvenir d’une guerre atroce est encore présent dans tous les esprits. Mais si la mort est la cause directe d’une négligence alors l’éthique morale veut qu’elle soit révélée. Écrire cet article m’a permis de mieux comprendre le fonctionnement de « nos » institutions internationales, de mieux cerner ses contradictions, ses déshérences, ses distorsions et peut-être ses limites.

Ebola born to kill…

crédit photo: Naid

Flavovirus découvert en 1976, dont on ignore son origine, Ebola touche les hommes et les singes ; son réservoir naturel (hôte porteur mais non malade) serait les chauves-souris frugivores.
La primo infection (passage à l’homme) se fait par l’alimentation, par morsure directe d’un animal contaminé ; bref le quotidien des Africains de l’Ouest.
Ensuite la transmission d’homme à homme se fait par contact direct avec les fluides corporels (sang, vomissures, selles, salive par micro gouttelette éjectée lors de la toux ou l’éternuement, sueur), dès l’apparition du premier symptôme. Le virus Ebola est hautement contagieux. Même le personnel médical n’est pas à l’abri derrière son scaphandre, et il paie depuis le début de l’épidémie un lourd tribu à la maladie, environ 10 % du total des décès.

Certains s’insurgent contre les centaines de millions de dollars d’appel au don pour lutter contre MVE alors que des maladies comme le paludisme, le choléra, la grippe tuent bien plus. Mais peut-on comparer MVE avec ces agents pathogènes ?
En effet à eux trois ils tuent environ 2,5 millions d’individus par an. Si ces agents pathogènes tuent autant, c’est moins dû à leur virulence qu’à l’absence d’accès au traitement. Dans le cas de MVE, il n’y a pas de traitement ! De plus, le taux de létalité n’est en rien comparable avec le paludisme ou la grippe (1%) : il est d’actuellement 65 % et peut atteindre 90 %.
Ebola tue dans toutes les catégories d’âge, paludisme et grippe plutôt les personnes fragilisées.

Ces comparaisons inappropriées nous font perdre de vue l’essentiel : les vies humaines, qui ne peuvent et ne doivent pas se réduire à de simples chiffres dans des tableaux Excel. Ebola est TRÈS DANGEUREUX, mortel. Si mortel qu’il est classé comme arme biologique.

Histoire d’une tragédie annoncée ?

22 Mars 2014, la Guinée informe officiellement l’OMS d’une flambée épidémique à virus Ebola. Mais, dès janvier-février, l’OMS suspecte des cas à MVE.
Outbreaks that occurred in the WHO African Region between January – February 2014

25 Mars 2014, 60 décès dont 4 agents de santé
Des investigations sont menées dans le secteur de Lofa au Liberia, et de Kailahun en Sierra Leone. L’intuition, la crainte d’une prochaine extension de la zone de flambée est déjà dans les esprits des responsables de l’OMS. C’est un 1er indicateur de gravité selon le Règlement Sanitaire International

28 Mars 2014, la souche Zaïre est identifiée. C’est la plus virulente. 3 pays officiellement dont infectés, Guinée, Liberia et Sierra Leone. 2émè critère de gravité selon le Réglement Sanitaire International


31 Mars 2014
MSF, présente sur les flambées précédentes, alerte : « nous faisons face à une épidémie d’ampleur encore jamais rencontrée en terme de répartitions géographiques… » Jusqu’à maintenant, les flambées étaient circonscrites à un unique foyer en zone rurale. Aujourd’hui, nous faisons face à 4 foyers distincts, dont un en zone urbaine, Conakry, la capitale. 3éme critère de gravité selon le Règlement Sanitaire International.

22 Avril 2014 : « D’un point de vue épidémiologique, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les tendances de cette épidémie » déclare MSF

Mai 2014, l’épidémie semble lever le pied. Mais les chiffres sont incapables de refléter la situation en temps réel.

Fin Mai 2014, l’épidémie repart à la hausse. Mais avait-elle faibli ?

21 Juin 2014, alerte de MSF : « L’épidémie est hors de contrôle » d’après le Dr Bart Janssens, directeur des opérations MSF

OMS : plaidoyer à haut niveau avec les gouvernements des trois pays affectés pour renforcer la coordination, la gestion de l’information et la communication. Une réunion de haut niveau sera organisée avec les ministres de la santé de la sous-région, des experts techniques et les principales parties intéressées à Accra (Ghana) les 2 et 3 juillet 2014

01 juillet : nouvelle alerte de MSF « l’épidémie est toujours hors contrôle ». MSF supporte quasi seule la prise en charge de l’épidémie en termes de moyens matériels et humains. L’OMS n’apporte qu’un soutien modéré mais non négligeable.

01 Août : la Sierra Leone décrète l’état d’urgence, l’armée est dans les rues.

04 Août : appel à financement pour un plan d’action de 100 millions US$, seuls 30 millions sont crédités. La Banque Mondiale promet 200 millions. MSF déclare: « ce n’est plus un problème d’argent ».

08 Août : 962 décès. Le comité d’urgence de l’OMS, en vertu du Règlement Sanitaire International, s’est déclaré unanime pour considérer que les conditions d’une « urgence de santé publique de portée mondiale » étaient réunies. Et il estime qu’une « réponse internationale coordonnée est essentielle pour arrêter et faire reculer la propagation internationale d’Ebola », dont les conséquences possibles seraient « particulièrement graves » compte tenu de la virulence du virus.

12 Août 2014 : La Sierra Leone rapporte qu’elle n’a reçu que 7 millions US£ sur les 25 nécessaires et le Liberia 6 sur les 21.http://www.irinnews.org/report/100480/ebola-response-up-but-huge-gaps-remain

15 Août 2014 : 1145 décès confirmés, probables, suspects soit plus que pour les 40 dernières années.

28 Août 2014 : l‘OMS rappelle son personnel de Kailahun après la contamination d’un de ses employés au cours du week-end

« L’actuelle réponse internationale à Ebola reste dangereusement inadaptée », affirme la coordinatrice d’urgence de MSF en Sierra Leone, dans un témoignage émouvant publié mercredi aux États-Unis.

« L’épidémie d’Ebola est devenue incontrôlable depuis plusieurs mois, mais la communauté sanitaire internationale a mis trop de temps à réagir », écrit encore l’infirmière coordinatrice Anja Wolz dans le New England Journal of Medicine.
Il aura donc fallu à l’OMS et sa foultitude de comités 6 mois et plus 1000 morts pour mesurer la gravité de la situation. Cette brève chronologie des événements ainsi que les déclarations de MSF, principal acteur sur le terrain et partenaire de l’OMS, m’amène à cette question : Y-a-t-il une explication rationnelle à cette lenteur de la part de l’OMS à prendre la mesure de la gravité de la situation et par conséquent mobiliser massivement des moyens pour enrayer cette épidémie?

 

 


Ebola – La coalition mondiale de l’inaction par msf

 

 

L’OMS, le « machin » ?

Siège OMS Genève: capture écran Google Street view

L’OMS une institution internationale du système des Nations Unies en charge de la santé publique mondiale. Elle se compose de 192 États, 192 visages, chacun étant unique. Pour le commun des mortels, l’OMS n’a pas de visage sinon son site internet « glamour » où chaque jour qui passe rend le monde un peu plus sûr. Ses organes sont l’Assemblée Générale constituée des États membres et d’un Conseil Exécutif, composé de 34 membres élus pour 3 ans.
Elle reçoit son autorité des 192 membres mais sans aucune puissance d’agir, nous verrons dans la deuxième partie pourquoi. Il est difficile dans ce cas de comprendre son rôle (sans nécessairement remettre en question son utilité qui peut se voir contestée). Lui (l’OMS) donner une image concrète, un visage, c’est ce que je propose de faire dans ce premier papier.
Il y a distorsion entre l’image idéale que l’OMS se donne et la réalité de ses actions. Comme le rappelle Andew Hammer sur son blog  nous pourrions penser que l’OMS est une organisation publique financée par ses 192 États membres. Qu’elle dispose de ses fonds en fonction des priorités qu’elle s’est donnée dans l’intérêt de l’humanité et plus particulières des plus vulnérables, des indigents. Nous verrons qu’il n’en est rien et que l’Organisation dépend en grande partie des intérêt et priorités de ses donateurs privés.

Sa grande mission est de contribuer à la sécurité sanitaire dans le monde en

• dirigeant l’action sanitaire mondiale,

• définissant des programmes de recherche en santé et d’action sanitaire, fixer des normes et des critères,

• aidant les autorités nationales et les communautés à se préparer aux situations d’urgence

• coordonnant les différents partenaires (logistique, médical, financier)

• Élaborant des outils de luttes contre les crises sanitaires variées

• fournissant des conseillers aux pays affectés afin de leur présenter des options politiques, et techniques dans le cas d’une urgence d’intervention fondée sur des données probantes.
• agir efficacement et sans retard pour parer aux priorités de santé publique,

• amorçant le redressement en veillant au bon fonctionnement des systèmes de santé locaux, et à atténuer les effets des crises (a posteriori) sur la santé publique

Pour remplir ses missions l’Organisation se divise en trois niveaux : international (Genève), régional et local (pays)

Ses partenaires sont multiples et nombreux. En premier lieu les États membres, les autres organismes onusiens (OCHA, PAM, UNICEF, UNHCR, FAO), Croix Rouge Internationale (CRI) et sa fédération, le Croissant rouge, ONG s’ (MSF est un de ses principaux partenaires), fondations (Bill et Melinda Gates sont son premier donateur privé), Union Européenne qui fourniront tous les moyens logistiques, financiers et humains nécessaires. L’OMS dispose donc d’une véritable armée sur laquelle elle peut se reposer. Avec cette puissance de feu elle semble le meilleur acteur pour faire face à n’importe quelle situation de crise. Mais cette démultiplication de partenaire ne peut-elle pas devenir contre productive à un certain point ? Et si oui lequel ?

Sans un sou…

Son financement provient de deux sources. Les contributions des États membres, d’une part, qui représentent 20 % du budget total et sont prédictibles et flexibles. D’autre part, les contributions volontaires pour les 80 % restants du budget. Ces recettes sont les plus incertaines puisque basées sur le volontariat. De plus elles sont fléchées et ne peuvent être dépensées que pour des choses spécifiques décidées par les donateurs .

Qui sont les donateurs de ces contributions volontaires?

Agences gouvernementales (agences de développement comme USAID, UE, DFID), fondations, banques d’investissement, ONG, multinationales, institutions scientifiques, organisations professionnelles en tout genre mais en aucun cas les laboratoires pharmaceutiques.

Nous voyons donc que le budget de l’OMS n’est assuré qu’à hauteur de 20 % et ceci dans la mesure où les États membres remplissent leur obligation de don. Dans le cas contraire l’Organisation n’a aucun moyen contraignant pour obliger le pays à verser ce qu’il a promis, sauf suspendre son droit de vote à l’Assemblée Générale.

Le trio gagnant – Experts, Analyses, Outils

Parmi les 4 priorités de l’OMS « la première est de contribuer à la sécurité sanitaire dans le monde en détectant les nouveaux dangers et en y faisant face rapidement. C’est ce que nous nous proposons de faire en créant un réseau mondial qui aide à localiser une flambée épidémique où qu’elle se produise et en mobilisant les meilleurs experts pour l’enrayer rapidement. Une telle action est cruciale en temps de paix et dans le chaos d’un conflit ou d’une catastrophe naturelle » -document « Œuvre de santé – Avant propos» – bibliothèque de l’OMS ISBN 92 4 256313 7 (Classification NLM: WA 530.1)

Pour remplir sa mission l’OMS a élaboré des outils d’analyse et des procédures d’actions, GOARN (Global Outbreak And Response Network ou Réseau Mondial d’Alerte et d’Action en cas d’épidémie), POS (Procédure Opérationnelle Standard), Emergency Response Framework (EFR ou CDD en français). Tous ces outils sont sensés lui permettent de mettre en œuvre des actions rapides et efficaces pour faire face aux urgences sanitaires et humanitaires.

Conclusion

Aux regards de sa communication l’OMS semble avoir tout les atouts et être l’organe le mieux à même de gérer ce type de situation. Il nous dit avoir fait tout son possible pour enrayer cette flambée épidémique à MVE d’une ampleur encore jamais connue. Mais sans succès. Au travers de ses communications elle reconnaît son impuissance, son incapacité (incompétence?) face à l’inattendu. Mais justement tous ces outils et ces experts ne sont-ils pas sensés l’aider à affronter l’inattendu ? Nous tenterons d’y voir plus clair dans un prochain papier.

 

Retrouvez tous les communiqués de suivi de la flambée
en anglais sur ce lien du WHO Africa
en français

 

Ludovic Brouxel pour Objectif Transition

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Ebola, fatalité, négligence, limite d’un système ? (part 2)